Seul le représentant légal d’une société peut conclure des actes au nom et pour le compte de celle-ci. Toutefois, il peut être difficile pour ce dernier d’assumer seul l’ensemble des fonctions qui lui incombent. Il est donc assez fréquent, en particulier dans les grandes sociétés, qu’un dirigeant de société recourt à la délégation de pouvoirs, ce qui lui permet de transférer à une autre personne, appelée délégataire ou « fondé de pouvoirs », une partie de ses pouvoirs.
Mais que devient cette délégation de pouvoirs lorsque le dirigeant cesse ses fonctions ?
La Cour de cassation a eu récemment l’occasion de rappeler la réponse, déjà bien établie, qu’elle apporte à cette question. Pour elle, une délégation de pouvoirs consentie par le représentant légal d’une société, pour le compte de celle-ci, continue d’engager la société, même après la cessation des fonctions du représentant légal, tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’une révocation.
Illustration
dans cette affaire, une délégation de pouvoirs (en l’occurrence, le pouvoir de déclarer les créances impayées par un fournisseur en redressement judiciaire) avait été consentie au secrétaire général par le président-directeur général d’une société anonyme, avant la loi du 15 mai 2001. Suite à cette loi, qui a permis de séparer les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général dans les sociétés anonymes, le président-directeur général avait été simplement nommé président du conseil d’administration, perdant ainsi, avec le titre de directeur général, la faculté de représenter la société.
Selon les juges, une telle modification n’avait toutefois pas eu pour conséquence de faire disparaître la délégation de pouvoirs que le président-directeur général avait consentie.
Conditions de validité de la délégation de pouvoirs
Le délégant
Le représentant légal d’une société a donc la faculté de déléguer ses pouvoirs à une ou plusieurs personnes de son choix (sauf restrictions imposées par les statuts). Il ne peut donc évidemment déléguer que des pouvoirs qu’il détient lui-même. Ainsi, ne peut-il pas conférer au délégataire des pouvoirs appartenant à d’autres organes de la société (conseil d’administration, assemblée des associés…).
En outre, il ne peut déléguer qu’une partie de ses pouvoirs et non l’intégralité.
Le délégataire
Sauf stipulations particulières des statuts, le délégant est libre de choisir son délégataire parmi les associés ou les salariés de la société, voire les personnes étrangères à celle-ci. Sauf si le dirigeant souhaite transférer sa responsabilité pénale en même temps que ses pouvoirs, auquel cas il doit choisir comme délégataire un salarié de la société.
Pour que la délégation de pouvoirs soit valable et efficace, le délégataire doit disposer pleinement de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour accomplir la mission qui lui est ainsi confiée. Si tel est le cas, il engage la société en lieu et place de son représentant légal dans les limites des attributions de ce dernier et du mandat qui lui a été donné.
Précision
l’existence de la délégation de pouvoirs ne diminue pas l’étendue des pouvoirs du représentant légal. En effet, celui-ci peut toujours intervenir pour conclure un acte qui entre dans la mission du délégataire.
Point important, la société n’est, en principe, pas engagée par les actes que le délégataire accomplit en dehors du cadre de la délégation qui lui a été confiée. Cependant, en pratique, les limitations de pouvoirs auxquelles peut être soumis le délégataire sont inopposables aux tiers.
La forme et les modalités de la délégation de pouvoirs
Aucune forme particulière n’est imposée par la loi pour la délégation de pouvoirs. L’existence d’une délégation de pouvoirs peut donc se déduire des actes et du comportement du délégataire. Néanmoins, une délégation de pouvoirs en bonne et due forme doit être précise, limitée dans le temps et à certains domaines, et clairement établie (domaine de la délégation, étendue des pouvoirs du délégataire, date de prise d’effet, durée de la délégation…). Pour des questions de preuve, il est vivement recommandé de procéder par écrit (soit en insérant la délégation de pouvoirs dans le contrat de travail du délégataire, soit en établissant un mandat spécial).
Cette délégation de pouvoirs devant s’opérer dans le respect des dispositions éventuellement prévues par les statuts (par exemple, accord préalable des associés, nature des pouvoirs pouvant être délégués, durée de la délégation…).
À noter
le bénéficiaire d’une délégation de pouvoirs peut, à son tour, déléguer les pouvoirs qu’il a reçus, sauf si sa propre délégation l’interdit. Toutefois, la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 juin 2009, semble exiger une autorisation expresse pour subdéléguer…
Durée de la délégation de pouvoirs
Nécessairement temporaire, la délégation peut être consentie pour une durée déterminée ou indéterminée. Dans ce dernier cas, le délégant peut la retirer à tout moment
Attention
le retrait d’une délégation de pouvoirs consentie à un salarié peut constituer une modification substantielle de son contrat de travail, nécessitant de recueillir son accord.
Cessation des fonctions du délégant
Comme nous l’avons vu, la cessation des fonctions du dirigeant (notamment par démission, révocation, décès ou départ à la retraite) ne met pas, en principe, un terme aux délégations de pouvoirs qu’il a consenties. En effet, le délégataire reçoit ses pouvoirs de la société elle-même et non du dirigeant. Le successeur du dirigeant n’a donc pas à renouveler les délégations s’il souhaite les maintenir. À l’inverse, il peut décider de les supprimer ou de les confier à d’autres personnes.
À noter
la solution est différente en présence d’une délégation de signature. En effet, par le biais d’une délégation de signature, le représentant légal se borne à charger une personne de signer, pour son compte et à sa place, tel ou tel acte relevant de ses pouvoirs. Contrairement à une délégation de pouvoirs, la personne dotée d’une délégation de signature n’apparaît pas comme le représentant de la société, mais simplement comme le mandataire du dirigeant. Dans ce cas, la cessation des fonctions du représentant légal de la société met fin à la délégation de signature.
Transformation de la société
La transformation d’une société en une autre forme de société n’entraîne pas la création d’une nouvelle entité juridique. Tous les actes pris par une société avant sa transformation continuent donc, en principe, de poursuivre leurs effets ensuite. Ce qui inclut les délégations de pouvoirs.
Un transfert de responsabilité pénale
Dans toute société, le dirigeant engage sa responsabilité pénale lorsqu’il commet une infraction à la réglementation (droit du travail, droit commercial, droit fiscal…). Mais par le biais d’une délégation de pouvoirs, il peut cependant s’exonérer de sa responsabilité pénale.
Pour ce faire, la délégation de pouvoirs doit être consentie à un salarié de la société, disposant des compétences, de l’autorité et des moyens nécessaires pour pouvoir accomplir sa mission.
Lorsque la délégation a été consentie en bonne et due forme et que l’acte incriminé relève du domaine de la compétence déléguée, seul le délégataire s’expose alors aux poursuites pénales. Sachant que le dirigeant ne peut évidemment pas échapper à sa propre responsabilité pénale en invoquant l’existence d’une délégation de pouvoirs s’il a personnellement pris part à la commission de l’infraction ou s’il y a lui-même consenti !
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